Les enjeux géopolitiques : USA contre Chine

Échanges commerciaux et droits de douane, quatrième révolution industrielle, 5G… Plus que jamais, les grandes thématiques du début du XXIe siècle semblent cristalliser une rivalité systémique entre les deux géants de ce monde.

Les États-Unis d’Amérique et la Chine sont incontestablement lancés dans un conflit géopolitique qui les voit s’affronter à tous les niveaux, avec à la clé un enjeu majeur : conserver ou acquérir un leadership planétaire.

 

En pratique, la compétition sino-américaine s’exprime aujourd’hui à travers différents biais non militaires qui rappellent les plus belles heures de la Guerre froide : l’adoption de mesures protectionnistes et de nouvelles barrières commerciales ne sont que la partie émergée des relations de plus en plus tendues entre les deux grandes puissances, qui se jouent du cadre habituel des organisations internationales comme le FMI ou la Banque Mondiale.

 

Quels sont les enjeux géopolitiques du conflit latent entre les USA et la Chine ? Et en quoi les objectifs stratégiques des deux États divergent-ils ?

ENJEUX TECHNOLOGIQUES : LA COURSE VERS L’INDUSTRIE 4.0

 

La maîtrise des nouvelles technologies est un facteur majeur et incontournable de puissance. À ce titre, les USA et la Chine sont actuellement engagés dans une compétition effrénée pour devenir l’acteur dominant de la quatrième révolution industrielle et imposer ses propres standards.

 

QU’EST-CE QUE LA QUATRIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ?

 

La quatrième révolution industrielle, ou « industrie 4.0 », désigne une révolution des techniques de production par l’intermédiaire d’une convergence croissante entre le monde numérique et le monde physique, pour donner naissance à des systèmes cyberphysiques (CPS).

L’industrie 4.0 se traduit concrètement par la multiplication des objets interconnectés (Internet des objets), mais aussi par des technologies en devenir comme la réalité augmentée, le cloud computing, l’intégration du big data ou bien sûr la robotique.

 

Ces différents domaines de recherche et développement représentent autant d’enjeux forts dans le cadre des relations internationales entre les deux grandes puissances, dans la mesure où une telle transition technologique ne se produit qu’une fois à l’échelle d’une génération.

Pour rappel, la quatrième révolution industrielle fait suite :

 

  • À la première révolution industrielle (à partir de 1760), marquée par la machine à vapeur et les débuts de la mécanisation ;

 

  • À la seconde révolution industrielle (à partir de 1870), qui se caractérise par l’avènement de l’électricité, des chaînes d’assemblage et de la production en série ;

 

  • À la troisième révolution industrielle (à partir de 1970), avec notamment l’invention du microprocesseur par Intel (1971), de l’ordinateur de bureau par IBM (1975) et bien sûr la naissance d’Internet.

 

5G ET PROTECTION DES DONNÉES : DES TENSIONS FORTES



Le dossier de la 5G, qui correspond à la cinquième génération des standards de téléphonie mobile, demeure aujourd’hui le théâtre d’un conflit géopolitique majeur entre la Chine et les États-Unis. De fait, la maîtrise de la 5G conditionne de nombreuses applications technologiques, dont le développement annoncé de l’Internet des objets.

 

Huawei est au centre de toutes les polémiques. Avec un budget recherche et développement de plus de 13 milliards d’euros en 2018, soit quasiment le double de son rival américain Cisco, le constructeur chinois est pour l’instant largement en tête concernant le coût et la performance de ses équipements.

Un avantage concurrentiel largement subventionné par l’État communiste chinois, auquel les autorités américaines prêtent des velléités d’espionnage des communications sur le territoire américain.

 

Résultat : depuis le printemps 2019, l’administration Trump a décidé d’exclure automatiquement Huawei de l’ensemble de ses appels d’offres. Les autorités publiques américaines ont par ailleurs imposé la même restriction aux entreprises technologiques de la Silicon Valley et à tous les opérateurs de téléphonie outre-Atlantique.

L’enjeu, à savoir la maîtrise des futurs réseaux de communication mondiaux, justifie pleinement cette atteinte aux principes de la mondialisation du point de vue américain.

 

Encadré : La guerre des blocages d’applis et de sites

TikTok, l’appli vidéo préférée des adolescents américains, est aussi une affaire très profitable pour le groupe chinois ByTeDance, que le gouvernement américain accuse d’exporter vers la Chine les données personnelles des utilisateurs. Un blocage de l’application est donc envisagé outre-Atlantique. La Chine, de son côté, a déjà bloqué depuis bien longtemps les services en ligne les plus emblématiques de la domination américaine, dont Google, Gmail et Facebook.

 

ENJEUX ÉCONOMIQUES ET TENSIONS COMMERCIALES

 

Les règles traditionnelles du commerce international et de l’OMC ne pèsent souvent pas lourd face aux enjeux de la guerre économique entre les deux grandes puissances.

Les tensions commerciales se sont ainsi accrues depuis quelques années et notamment sous l’ère de la présidence Trump, avec la création de nouveaux droits douaniers et une ingérence plus systématique dans les accords inter-entreprises.

 

LE RETOUR EN FORCE DES TAXES DOUANIÈRES

 

Dans le but de préserver les intérêts de l’industrie américaine, de diminuer le déficit commercial du pays et de maintenir ou rapatrier les emplois de la classe moyenne américaine, le président Donald Trump a engagé un bras de fer commercial avec la Chine dès le mois de janvier 2018 en revenant sur certains accords tarifaires.

Il annonce alors, en premier lieu, une taxe douanière exceptionnelle d’une durée de 4 ans, au taux dégressif chaque année, sur les machines à laver et les panneaux solaires chinois.

 

Ce premier coup de semonce, qui constitue une mesure de protectionnisme économique par excellence, n’est évidemment pas resté sans réponse de la part de l’Empire du Milieu. La Chine, outre une plainte déposée auprès de l’OMC, réplique dès le mois de février en initiant une enquête concernant un supposé dumping des États-Unis sur le commerce du sorgho, dont le pays est un grand exportateur.

 

L’escalade continue ensuite des deux côtés avec un nouveau droit de douane américain de 25 % sur l’aluminium importé, et de 10 % sur l’acier. Une liste de 1 300 produits (dont le matériel médical, les écrans plats et de nombreux biens de haute technologie) est par ailleurs communiquée et fait l’objet d’une augmentation des taxes douanières, pour un montant global estimé de 60 milliards de dollars.

Les relations commerciales sino-américaines n’avaient encore jamais fait l’objet de telles tensions.

 

DES ACCORDS ET ACQUISITIONS D’ENTREPRISES EXAMINÉS À LA LOUPE

 

La guerre commerciale entre les deux pays s’exprime aussi à travers une ingérence accrue des deux puissances dans les accords négociés par leurs propres entreprises avec l’étranger : une pratique habituelle côté chinois, mais plus atypique pour les États-Unis.

 

À titre d’exemple, les autorités chinoises mirent leur veto à l’acquisition de NXP Semiconductors par le groupe américain de téléphonie Qualcomm en juillet 2018. Cette opposition conduit à l’avortement d’un projet de rapprochement qui avait été initié deux ans plus tôt.

 

YUAN CONTRE DOLLAR : L’AFFRONTEMENT EST ÉGALEMENT MONÉTAIRE

 

Les rivalités en matière d’échanges commerciaux se doublent d’une lutte d’influence entre le yuan et le dollar américain, qui est la monnaie d’échange internationale de référence et entend bien le rester. En réaction à la hausse des droits de douane américains, les autorités chinoises ont ainsi organisé une dévaluation de 10 % du yuan en août 2019 pour conserver leur compétitivité.

 

La manœuvre n’a évidemment pas été du goût des autorités américaines, qui se sont rappelées au bon souvenir de la Chine un an plus tard. En mai 2020, et en pleine crise sanitaire, la Federal Reserve Bank (FED) a annoncé un accord de « swap monétaire » avec les banques centrales de plusieurs pays pour leur faciliter l’accès au dollar : étaient notamment concernés le Canada, le Japon, le Royaume-Uni et la Suisse… mais bien sûr pas la Chine.

 

UNE BATAILLE POUR LE LEADERSHIP MONDIAL, MAIS LEQUEL ?

 

Il est important de rappeler que les deux grandes puissances n’ont pas exactement les mêmes visées, ni les mêmes contraintes dans la compétition qui les voit s’affronter.

 

ÉTATS-UNIS : CONSERVER UNE HÉGÉMONIE MONDIALE

 

La stratégie américaine vis-à-vis de la Chine est actuellement celle d’un containmentqui vise à brider cette puissance rapidement émergente par tous les moyens. L’enjeu principal, du côté américain, consiste à maintenir l’hégémonie économique des États-Unis, dont dépend directement sa puissance militaire et donc géopolitique.

 

La négociation étroite de certains accords de libre-échange, le soutien apporté au dollar comme monnaie internationale et le soutien des grandes entreprises stratégiques américaines sont autant de priorités pour la nouvelle administration Biden comme elles l’étaient pour la présidence précédente.

 

CHINE : COMPENSER LA DÉMOGRAPHIE PAR LA PUISSANCE ÉCONOMIQUE

 

La Chine de Xi Jinping envisage le début du XXIe siècle comme une opportunité unique pour le pays d’accéder enfin à l’hégémonie mondiale à laquelle il semble destiné.

Cela passe entre autres par une lutte d’influence économique, mais aussi par la contestation de la domination culturelle de l’Amérique sur le monde, via la proposition d’un contre-modèle politique et idéologique (un capitalisme autoritaire doublé d’un système politique communiste).

 

La Chine profite de sa croissance économique pour pousser son avantage autant que possible et dès maintenant face au rival américain. Il est vrai que les réalités démographiques jouent plutôt en sa défaveur : à l’horizon 2050, la population active occupée devrait diminuer de 23 % dans le pays, soit près d’un quart.

 

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Il ne fait guère de doute que l’évolution des relations internationales entre les États-Unis et la Chine constituera l’une des problématiques constantes de la prochaine décennie. Va-t-on vers une aggravation de la guerre économique en direction d’un conflit géopolitique plus majeur, ou au contraire vers un apaisement des tensions ? La sortie de crise sanitaire devrait rebattre les cartes de façon significative.